« La photo en noir et blanc d’une petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets. En fond, des falaises. Elle est assise sur un rocher plat, ses jambes robustes étendues bien droites devant elle, les bras en appui sur le rocher, les yeux fermés, la tête légèrement penchée, souriant. Une épaisse natte brune ramenée par devant, l’autre laissée dans le dos. Tout révèle le désir de poser comme les stars dans Cinémonde ou la publicité d’Ambre Solaire, d’échapper à son corps humiliant et sans importance de petite fille. Les cuisses, plus claires, ainsi que le haut des bras, dessinent la forme d’une robe et indiquent le caractère exceptionnel, pour cette enfant, d’un séjour ou d’une sortie à la mer. La plage est déserte. Au dos : août 1949, Sotteville-sur-Mer. » Chez Annie Ernaux, qui puise son inspiration aux sources de son enfance et appréhende ses écrits comme autant d’explorations destinées à se retrouver, la vie et l’écriture ne font qu’un. L’intime au cœur de la rumeur générale est la forme idéale. Ici, c’est la description de photographies, des années quarante à l’ère de la révolution d’Internet et de la mondialisation, qui sert de fil conducteur à l’introspection. Regarder en soi, rechercher sa propre vérité pour interroger la mémoire collective et mieux percevoir le mouvement du monde, son flux et son reflux, tel est son dessein. Après Une femme, La Place et L’Événement, Les années s’impose comme l’aboutissement d’une démarche autobiographique unique et séduit par son éblouissante maîtrise.